Xavier Beulin, président du groupe Avril-Sofiprotéol,
envisage de rempiler en 2017 à la tête de la FNSEA.
Mediapart a enquêté sur son patrimoine : entre 2003
et 2007, Xavier Beulin, locataire à Paris, a acheté une
maison et un immeuble à Orléans, puis un terrain en
Tunisie où il s’est construit une villa. Mieux : il s’est
associé à sa femme dans une SCI qui loue des locaux
à Carrefour, un comble, vu de la FNSEA.
Xavier Beulin face à la presse en 2016 © Reuters
Dans l’histoire de la FNSEA, Xavier Beulin restera
comme le premier président à avoir dû expliquer à sa
base qu’il était « paysan », « lui aussi ». À Saint-
Brieuc, le 2 juillet 2015, pour les éleveurs en colère,
ça n’allait pas de soi. Mais alors pas du tout. « Je
suis paysan, tu es paysan... » martelait le patron de la
FNSEA proposant le tutoiement, sans succès. « Non,
non, un tout petit paysan, il a du mal à tutoyer les
grands paysans comme vous », protestait Nicolas.
« On n’a pas le même quotidien ! » criait un autre.
« Contactez vos copains au ministère », renchérissait
Nicolas. « On est en train de crever tous les jours ! »
lâchait encore l’éleveur.
Xavier Beulin face à la presse en 2016 © Reuters
En 2015, l’année des sifflets pour lui, Xavier Beulin
soutiendra lors d’une interview qu’il « vit comme les
paysans » qu’il « défend » : « les mêmes difficultés »,
« les mêmes contraintes », prétend-il. En réalité,
Xavier Beulin n’est plus paysan depuis longtemps.
Bien rares sont les images de lui dans sa ferme...
parce qu’il n’en a plus. Contrairement à la plupart
des syndicalistes qui rejoignent leur exploitation après
leurs journées de militantisme à Paris, Xavier Beulin,
lui, se rend au 11, rue de Monceau, dans le VIIIe
arrondissement de Paris, siège du groupe Avril-
Sofiprotéol, un fonds coopératif qu’il préside depuis
2000. Le siège de la FNSEA n’est qu’à quatre pâtés de
maisons de là, au 11, rue de la Baume, dans le même
arrondissement parisien. Et lorsqu’il rentre chez lui,
c’est pour retrouver un appartement loué rue Bois-le-
Vert, en plein XVIe arrondissement.
Selon les informations obtenues par Mediapart, il peut
aussi rejoindre Orléans, sa région d’origine où il a
acheté une résidence principale, en 2003, puis un
immeuble dans le centre historique, en 2005. Pour ses
vacances, c’est à Gammarth, en Tunisie, qu’il a investi
en achetant un terrain, en 2007, pour y construire
une villa. Dans cette zone résidentielle où plusieurs
membres du clan de l’ancien dictateur Ben Ali – son
beau-frère Imed Trabelsi, ou l’homme d’affaires Aziz
Miled... – ont multiplié les opérations immobilières
destinées à la jet-set avant la chute du régime.
À la question de savoir si ces investissements dans
la pierre l’avaient conduit à acquitter l’impôt de
solidarité sur la fortune (ISF) – le plancher était
alors de 790 000 euros de patrimoine –, Xavier
Beulin n’a pas répondu à Mediapart. Il a en tout
cas opéré, en 2012, une donation à son fils de sa
part de sa résidence principale à Orléans, en en
conservant la nue-propriété, allégeant ainsi l’assiette
de son patrimoine. Il possède en outre une part
symbolique dans une SCI qui loue des locaux à
l’enseigne Carrefour, à Ingré, au nord d’Orléans. Un
comble, vu du syndicat qui prend si souvent pour cible
la grande distribution.
Le président de la FNSEA, qui n’a pas accepté de nous
rencontrer, nous a « suggéré » de nous « référer »
à la déclaration de son patrimoine, du 17 juin 2016,
transmise à la Haute autorité pour la transparence
de la vie publique (HATVP), « dans le cadre de
[son] mandat bénévole de président du conseil de
surveillance du grand port de La Rochelle » – l’un
de ses nombreux mandats d’administrateur bénévole.
Mais cette déclaration obligatoire pour les présidents
et directeurs d’organismes publics – en vertu de la
loi de 2013 sur la transparence de la vie publique –
n’est pas communicable par la HATVP. Et, bien qu’il
nous conseille de nous y référer, Xavier Beulin ne
souhaite pas la rendre publique. « En me soumettant
de manière exhaustive aux demandes de la HATVP, je
considère répondre aux exigences démocratiques liées
à mes revenus et à ma situation patrimoniale », a-t-
il répondu à Mediapart. En l’espèce, il répond surtout
aux obligations légales liées à sa fonction.
Le hall d'immeuble de la résidence de Xavier Beulin, rue Bois-le-Vert à Paris © Kl
La contestation des adhérents n’a pas fait fléchir
le porte-voix du syndicat agricole. Alors que son
remplacement était en vue, et que sa première
vice-présidente Christiane Lambert avait lancé sa
candidature, Xavier Beulin a finalement annoncé, en
septembre, au conseil d’administration de la FNSEA
qu’il serait le rapporteur du rapport d’orientation du
prochain congrès, en 2017, une mission dévolue au
futur président... « Il ne veut pas lâcher », ont conclu
les syndicalistes. Certains se souviennent encore de
son arrivée au congrès de Metz en 2006. « Il venait
parler des biocarburants, le dossier qu’il a géré
chez Sofiprotéol, et là on le voit apparaître, il est
en costard de banquier, pompes anglaises, attaché-
case Lancel... » Il fait sensation. Inattendue, mais
très préparée, son élection à la présidence en 2010
est vécue comme un putsch au sein du syndicat,
traditionnellement présidé par un éleveur.
Rue de Monceau, le groupe Sofiprotéol, fondé par
des associations de producteurs d’oléagineux et de
protéagineux, aujourd’hui rebaptisé Avril, a réalisé en
2015 un chiffre d’affaires de 6,1 milliards d'euros, et
englouti la moitié de la collecte française de colza et de
tournesol. Ce géant agroalimentaire possède les huiles
Lesieur et Puget, les œufs Matines, les biocarburants
Diester, et il fournit aussi des aliments aux éleveurs,
à travers sa filiale Sanders. Initialement dirigeant
de la Fédération des producteurs d’oléagineux et
protéagineux (FOP), Xavier Beulin est donc un acteur
important de l’industrialisation de l’agriculture et de la
concentration des exploitations.
Il est aussi représentatif d’un nouveau modèle de
“grands paysans” apparus sur certains territoires,
parfois extérieurs au monde agricole, qui délèguent
le quotidien à des chefs de culture et ne mettent plus
les pieds sur leurs terres. Ainsi, Mediapart a retrouvé
ce qui tient lieu de ferme à Xavier Beulin. C’est
une grange, ouverte à tous les vents, sur laquelle un
écriteau et une simple boîte aux lettres signalent le
siège de la société agricole du dirigeant syndical :
l’EARL Quadrige. Une ferme fantôme, qui ne dispose
même pas d’un lavabo...
La ferme fantôme de Xavier Beulin à Trainou, dans le Loiret © Kl
Quadrige a formalisé, en 2009, l’association de Xavier
Beulin avec son frère Patrice et deux cousins. Il était
auparavant associé à son frère dans un groupe agricole
(Gaec). Le président de la FNSEA achète cette année-
là les terres attenantes à l’entrepôt, quatre champs de
25 hectares, aux héritiers d’un autre cousin agriculteur
récemment décédé, Pierre Beulin, héritier de la ferme
de la famille, la Poulardière. « Ici, ce ne sont pas
des revenus extraordinaires, explique une cousine de
Xavier Beulin. Cela n’a rien à voir avec la Beauce. Il
faut arroser beaucoup le colza, le maïs. Et en dehors
de cette superficie de cent hectares, les associés ont
tous des bouts de champ à droite à gauche. Et ils sont
trois familles à vivre dessus. » Quatre en principe,
corrige-t-on. Mais Xavier Beulin vient seulement
« de temps en temps ». Histoire de « retrouver ses
sources ».
Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.
Le couple Beulin touche des dividences
assez subtantiels de l’activité du Carrefour
Market d’Ingré
Xavier Beulin figure pourtant comme l’un des « quatre
exploitants agricoles » gérant Quadrige. Or, selon
l’article L. 411-59 du code rural qui définit le statut
d’associé exploitant d’une EARL, ce dernier doit
effectivement « travailler sur l’exploitation ». Et en
cas de reprise d’une ferme, « il ne peut se limiter
à la direction et à la surveillance de l’expoitation,
et doit participer sur les lieux aux travaux de façon
effective et permanente, selon les usages de la région
et en fonction de l’importance de l’exploitation ». « Le
bénéficiaire de la reprise doit occuper lui même
les bâtiments d’habitation du bien repris ou une
habitation située à proximité du fonds »,précise encore
le code rural.
Selon les témoins rencontrés par Mediapart, Xavier
Beulin entrerait donc mieux dans la case d’associé non
exploitant, mais il a répondu à ce sujet que sa résidence
principale « se trouve à moins de 15 kilomètres
de [son] exploitation ». Située en ville, chemin du
Halage à Orléans, cette résidence n’est pas tout près.
Mais tout est affaire d’interprétation. Les schémas
directeurs départementaux varient, et les exigences
des commissions départementales d'orientation de
l'agriculture (CDOA), cogérées par la FSNEA, aussi.
L’autorisation d’exploiter n’a pas été refusée à Xavier
Beulin, qui est par ailleurs toujours vice-président de
la fédération départementale (FDSEA) du Loiret.
La résidence principale de Xavier Beulin, aux volets bleu
ciel, chemin du Halage, face à la Loire, à Orléans © Kl
À Orléans, Xavier Beulin et sa femme ont acheté une
maison, chemin du Halage, face à la Loire, en juillet
2003. Avec salon en rez-de-jardin, cinq chambres, et
une piscine au fond du jardin. La maison est achetée
comptant pour 609 796 euros, moyennant un emprunt
de 340 000 euros. En septembre 2005, le couple
Beulin achète cette fois un petit immeuble de trois
étages en pierre de taille, rue des Grands-Champs,
dans le centre historique, pour 400 000 euros. Chaque
fois, des SCI sont créées et cogérées par le couple.
Selon des estimations communiquées à Mediapart, la
maison en bord de Loire aurait accru sa valeur de
100 000 euros environ, celle du centre-ville, où des
travaux importants ont été effectués, pourrait valoir
aujourd’hui dans les 800 000 euros.
L'immeuble acheté dans le centre historique d'Orléans, en 2005, par Xavier Beulin © Kl
En octobre 2007, c’est dans le quartier huppé de
Gammarth, près de Tunis, que le couple décide
d’acheter des terrains, 425 m2 chacun, pour y
construire une villa. Le prix des terrains y oscille entre
300 et 600 euros le mètre carré – celui de Beulin
est donc susceptible d’avoir coûté entre 127 000 à
255 000 euros. Là encore, le syndicaliste ne souhaite
pas préciser. Questionné en 2011 par BFM TV, le
président de la FNSEA a déclaré n’avoir « pas
de terres au Maroc ou en Tunisie, ni ailleurs [au
Maghreb], mais ce qui m’inquiète, c’est la situation
dans ces pays-là ». Xavier Beulin passe sous silence
l’achat de terrains dans l’une des zones résidentielles
huppées, où les propriétés des membres du clan Ben
Ali ont été précisément saccagées par la foule. C’est
dans ce quartier aussi que l’homme d’affaires Aziz
Miled, aujourd’hui décédé, avait vendu une propriété
aux parents de l’ex-ministre de la défense Michèle
Alliot-Marie.
L'un des documents prouvant l'achat du terrain de Gammarth © DR
« Vous semblez croire que je possède des terres
en Tunisie, a répondu Xavier Beulin. J’ai le regret
de vous indiquer qu’un terrain de 425 m2 se prête
mal à l’exploitation agricole... J’y ai en revanche
fait construire une résidence de vacances en toute
transparence et légalité. Elle figure d’ailleurs dans ma
déclaration de patrimoine faite auprès de la HATVP. »
Déclaration qui reste, comme on l’a vu, confidentielle.
En 2012, Jean-Pierre Elkabbach expliquait au Point
que Xavier Beulin avait été « l’un des premiers à
[l’]alerter sur le printemps arabe ». « Il m’a tout
de suite exprimé ses espoirs et ses craintes. Il a
une ferme en Tunisie, il y fréquente beaucoup de
gens », avait expliqué le journaliste d’Europe 1, qui
aujourd’hui ne se souvient que vaguement de cette
mention d’une ferme, censée appartenir à l’entourage
de Xavier Beulin. Ou était-ce un projet qui n’a pas vu
le jour ?
Vue aérienne de Gammarth, où furent conduites de
nombreuses urbanisations de standing sous Ben Ali © DR
La Méditerranée intéresse en tout cas le dirigeant
syndical. Xavier Beulin est le président, depuis
le 6 décembre 2013, du conseil de surveillance
de l’Ipemed (Institut de prospective du monde
méditerranéen), un laboratoire d'idées fondé par Jean-
Louis Guigou, le mari de l’ancienne garde des
Sceaux Élisabeth Guigou, et dont le vice-président
du conseil de surveillance n’était autre deux ans plus
tôt que l’homme d’affaires tunisien Aziz Miled. En
2011, l’affaire Alliot-Marie avait provoqué la sortie
d’Élisabeth Guigou de l’Ipemed, en raison de ses liens
avec Miled. En mars 2016, Xavier Beulin, nommé
coprésident des clubs de chefs d’entreprise France-
Maroc, a aussi accompagné Pierre Gattaz au Maroc.
Dans un autre registre, Xavier Beulin a été propulsé,
en 2015, président d’un autre laboratoire d'idées,
le comité Sully, cercle de réflexion des industries
agroalimentaires, en remplacement de Pierre Pringuet,
un ancien collaborateur de Michel Rocard devenu DG
de Pernod Ricard. Depuis lors, le comité a élu domicile
chez Avril-Sofiprotéol, rue de Monceau.
Mais c’est du côté d’Orléans que Mediapart a retrouvé
la fonction la plus inattendue dans le CV de Xavier
Beulin.
Le supermarché Carrefour Market d'Ingré dans les locaux loués par la famille Beulin © KL
Le président de la FNSEA est entré en 2008, pour
15 000 euros, dans une SCI de sa femme, la SCI du
Val-d’Orléans. Cette SCI reprise en totalité en 2008
par son épouse, pour 631 000 euros, est propriétaire
d’un ensemble de terrains – un total de 13 000 m2 –
comprenant un supermarché – 2 000 m2 de surface
de vente – et un parking de 200 places, à Ingré, près
d’Orléans. Elle a depuis, en 2012, cédé ses parts de la
SCI en nue-propriété à ses enfants, en en conservant
l’usufruit, mais Xavier Beulin, lui, a gardé sa part
certes minime du business. Le couple Beulin touche
donc des dividendes assez substantiels de l’activité
du Carrefour Market d’Ingré. Une somme évaluée
à 50 000 euros par trimestre par les commerçants
d’Ingré. Pour Xavier Beulin, qui rencontre plusieurs
fois par an les géants de la grande distribution, pour
d’âpres négociations, il n’y a, une fois encore, pas le
moindre conflit d’intérêts. Quant au Carrefour Market
d’Ingré, les syndicalistes de la FNSEA n’y ont encore
jamais fait d’action.
Boite noire
M. Xavier Beulin a été joint par Mediapart, le 19
octobre, pour une première demande d’entretien, qu’il
a refusée, en indiquant ne pas vouloir évoquer le
sujet de son patrimoine. Le 19 novembre, nous lui
avons donc fait parvenir des questions par courriel,
auxquelles il a répondu par écrit le 28 novembre. Le
lendemain, nous lui avons adressé d’autres questions
complémentaires, mais il nous a fait savoir qu’il
n’y « donnerait pas suite », ses réponses écrites lui
paraissant « suffisamment claires ». Nos recherches et
entretiens sur le terrain ont été effectués le 20 octobre.
https://www.mediapart.fr/journal/econom ... nglet=full